Bafouiller et se tendre

Une autre trouvaille dans la bibliothèque de mon hôte, les Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers.

De Ponge, je ne connaissais (pour ne pas dire que je le surkiffais) que le Parti pris des choses, un des livres qui m’a rendu amoureux de l’écriture et des mots (si vous ne savez pas ce que regarder autour de soi veut dire, lisez ce recueil). Même si je n’ai pas tout aimé (ni tout compris) de ces entretiens, il y a beaucoup de choses que j’ai vraiment beaucoup aimées. Aimées au sens de d’apprécier une nouvelle saveur et, peut-être aussi, au sens d’aimer être réconforté quand on est triste ou perdu.

Par exemple, même si Ponge parle de poésie, ce passage pourrait parfaitement décrire la façon dont j’envisage mon travail, qui n’a rien de poétique à la base, et ma relation avec le lecteur, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant qu’éditeur — ce travail d’éditeur informatique que j’ai laissé derrière moi il y a peu, comme on quitte une peau devenue trop étroite dans laquelle on ne sent plus la moindre place, ni avenir ni passé. Quant au travail d’auteur, même s’il a été mis en sommeil le temps de me réparer et de me retrouver, lui n’est pas près de me quitter. Bref, voici le passage :

Montrer comment un animal, un homme, dont une des fonctions est de parler, eh bien, montrer comment il parle, pourquoi qui il est à ce moment-là, qui est la personne qui l’écoute; concerne directement l’auditeur et montrer le travail, montrer le développement de l’esprit, accepter tout ce qui vient à ce moment-là, les scrupules bien sûr, les censures instinctives montant en même temps que les audaces, si bien qu’on fait ça tout simplement… Du bafouillage, on en fait, mais quand on bafouille, on dit : “je bafouille” et en général les auditeurs son très contents, ils sont très contents d’être dans le moment présent et d’être concernés directement, et ils écoutent.

(“Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers”, p.99, Gallimard/Seuil)

Et, plus loin, dans un autre entretien :

Il semble que les règles, exigences techniques, sont posée d’abord comme impératives, pour que la difficulté qu’elles soulèvent, l’obstacle qu’elles dressent, obligent à piétiner, à marquer le pas, à faire comme on dit du “sur place”, voire à s’enfoncer, à s’enterrer sur place, comme un assiégeant devant un mur.
(…)
Les impératifs techniques, rimes rares et stériles, césures, pas de hiatus, strophes à sens complet, sonnets réguliers, etc., ne servent, au fond, que de clés de tension. On finit par les transgresser s’il le faut.

(p.161)

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