La NSA, la technologie, et nous

Bombe — attentat — terrorisme — islam — chiffrement — vie privée — sexe — pornographie — espionnage — NSA — PageRank — ben quoi ?

Certaines choses m’étonnent dans ce que j’ai pu lire sur “l’affaire” de la NSA : l’étonnement que des espions espionnent en secret, et l’étonnement que la technologie ne nous mette pas à l’abri des méchants ou des salauds d’un coup de baguette magique.

Vraiment, ça surprend ?

Ce qui devrait nous intéresser, ce n’est pas que des espions soient prêts à toutes les saloperies : c’est pas nouveau et c’est loin d’être exclusif à la NSA ou même aux espions — ça fait combien d’années que les USA violent tous les droits des personnes détenues à Guantanamo ? Ça empêche qui de dormir ?

Bien entendu, cette prison située on ne sait pas trop où (à Cuba, si vous vous posez la question), pleine d’islamistes forcément suspects, nous concerne moins dans notre quotidien, à nous les geeks, que la remise en question d’Internet et des nouvelles technologies qui en dépendant ainsi que de leur promesse, marketée depuis des années et amplifiée par nos soins, d’une vie plus connectée et plus géniale. Ça nous concerne moins, disais-je, que de remettre en question les promesses du numérique, pour le coup, cette authentique baguette magique qui nous a transformés de loosers binoclards dont tout le monde se moquait en mecs (et en filles) cools, à la pointe des trucs dont tout le monde cause.

Ce qui devrait nous intéresser, ce sont les personnes qui ont fait ça. Car ça ne s’est pas fait tout seul, ni par accident.

On connait les noms de Edward Snowden ou de Chelsea Manning (et de quelques autres, qui ont choisi de parler pour nous alerter), mais qui sont les développeurs/ingénieurs/mathématiciens/PDG/industriels/etc. qui ont accepté de bâcler leur travail, de produire un code ou un produit vérolé, de créer des standards de sécurité qui n’ont peut-être rien de sécurisé, de filer à la NSA les données que nous leur avions confiées ?

Qu’ils le fassent par conviction idéologique (lutter contre le crime, chasser le terroriste ou le pervers sexuel), par peur (de perdre leur job) ou par appât du gain (des cas ?), n’y change rien. Et c’est l’occasion de nous rappeler que la technologie n’est pas quelque chose d’abstrait. Elle est le fruit de l’activité non pas de l’humanité — cette entité anonyme — mais de personnes, d’individus avec un nom et avec une vie. Avec plein de qualités et, souvent, avec pas mal de défauts.

C’est aussi l’occasion de se rappeler d’une autre chose, bien trop souvent masquée sous nos louanges et notre adoration quasi religieuse du bit et du Web : la technologie n’est pas une baguette magique, ce n’est pas un sésame qui ouvre d’un coup les portes d’un monde meilleur, plus juste, plus humaniste, plus équitable, etc.

La technologie n’est qu’un outil. Et comme n’importe quel outil, selon la main qui l’utilise, il servira à construire ou à détruire. Avec la même clé, on peut ouvrir ou fermer une porte.

Les experts s’inquiètent de la perte de confiance dans Internet, et du travail de titan qu’il faudra pour retrouver cette confiance. Hélas, je suis persuadé qu’ils se trompent : notre passivité est telle (et nos habitudes déjà si bien ancrées) que ça ne changera pas grand-chose. Pour que ça change quelque chose, il faudrait d’abord qu’il y ait une grosse conséquence concrète pour chacun de nous : pas juste se dire “oh, c’est pas bien“. Par exemple perdre l’argent de notre compte en banque, se retrouver enfermé dans une cellule, perdre son job, voir ses données médicales ou les détails de sa vie sexuelle publiés au grand jour ou, pire encore, être empêché de se rendre à un RDV avec Jodie Foster.

Qui sont les individus qui ont choisi de rendre une administration (là encore, la NSA n’est pas la première, mais c’est sans doute la plus inquiétante) autonome et de la doter d’outils (lois, règlements,etc.) qui lui permettent d’échapper à tout contrôle démocratique (politique, citoyen: mettez le terme qui vous plaît) ou d’être couverte par d’autres administrations, jusqu’à recevoir le soutien du prix Nobel de la paix, et président des Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama ?

C’est ce qui m’inquiète le plus, en fait : même si cela prendra du temps, Internet on le nettoiera de cette merde et on mettra en place des outils plus fiables, mais on ne pourra pas aussi facilement se libérer d’une telle entité — qui existe dans le monde, pas qu’en ligne, pas que dans le code — qui n’a de compte à rendre qu’à elle même et qui semble n’exister que pour elle-même, avec sa propre logique, son propre calendrier, ses propres objectifs et qui dispose des moyens de les atteindre.

Cette situation n’existe que parce que des personnes on fait des choix. Ce sont ces choix et ces personnes, leurs motivations et les moyens utilisés, qui devraient nous intéresser en priorité. Parce que pendant qu’on cherche à réparer “l’Internet”… les mêmes personnes continuent à faire des choix.