Ce n’est pas un secret, pour ce qui est d’écrire, je suis plutôt stylo-plume. Depuis… ben, à peu près depuis qu’à l’école on m’a appris à écrire avec un stylo-plume.
J’ai rien contre les crayons, au contraire : c’est simple, ça sent bon et c’est joli. Mais j’aime pas devoir m’arrêter d’écrire toutes les deux lignes, parce qu’il faut à nouveau le tailler — parfois, je me dis que la mine d’un crayon ça s’use rien qu’en la regardant. J’aime pas non plus la couleur du trait, trop sombre ou trop clair, dans les deux cas c’est pénible à relire, le soir. J’aime pas non plus quand ça gratte sur le papier — oui, ça fait du bruit quand la mine gratte. ScritchScritchScritch ou GratGratGratGrat. Tout ça, j’aime pas.
J’en étais là, assuré de mon non-amour pour le crayon, certain de mon indifférence pour ce morceau de graphite gainé de bois. Jusqu’à notre rencontre.
Je sais plus comment on s’est connu, sans doute qu’il trainait au fond d’un des nombreux tiroirs du grand meuble à tiroirs, qu’il a fallu vider, chez ma mère. Je me suis mis à l’utiliser il y a quelques jours de ça parce que j’avais pas le choix : c’était lui ou c’était écrire avec mon propre sang, ce qui ne me tentait pas plus que ça. Et là, le choc.
Peut-être que tous les crayons que j’avais essayés avant celui-là étaient mauvais. Ou alors ce crayon est enchanté ou alors — si vous n’êtes pas amateurs de contes de fées, mais plus de SF — il est doté d’un processeur quantique et d’une IA révolutionnaire et il est entièrement composé de nano particules de bois et de graphite ? Je ne sais pas, et je m’en fiche : magique ou scientifique, c’est comme s’il était capable de deviner ou d’anticiper les souhaits ou les besoins les plus intimes de son utilisateur, et de s’y conformer.
C’est génial.
À mi-chemin entre le trait noir de charbon qui hurle “Regarde-moi ! Putain, mais regarde-moi ! Oh ! Y a que moi sur cette foutue page ! Oublie les autres mots !” et le trait tout gris pâlichon qui chuchote à ton oreille “je m’excuse d’être là, je m’en vais, je disparais, je m’efface” tellement qu’il est timide que c’est à peine s’il se laisse relire sans blêmir encore plus, y a lui et sa teinte de gris qui est exactement la bonne.
Entre la mine qui semble taillée dans des épines, tant elle s’accroche au papier juste pour te ralentir et te faire chier avec ses ScritchScritchScritch ou ses GratGratGratGrat, et la mine tellement glissante que tu risques la sortie de page au moindre “s” pris un peu trop rapidement (et de plus pouvoir te relire), y a lui qui glisse en silence, juste à la bonne vitesse.
Entre le crayon qu’il faut tailler deux ou trois fois avant d’avoir fini d’écrire “il était une fois”, et le crayon qui ne s’use jamais, mais qui ne laisse aucune trace sur le papier, ou seulement au niveau subatomique, y a lui qui semble te dire : Oublie le taille-crayon, je peux encore tenir, c’est trop bon ce que tu écris, je veux lire la suite, allez quoi ! Je me taille(crayonne)rai plus tard.
Génial, j’vous dis.
Génial au point que si ce modeste morceau de graphite et de bois était siglé Apple, je n’ai aucun doute que la presse technologique nous annoncerait la nouvelle révolution Apple, la tendance que tout le monde copiera bientôt, le futur de l’écriture à notre portée aujourd’hui. Ne tarissant ni d’éloges, ni d’enthousiasme(s) :
- “Apple fait encore mieux qu’avec son nouveau MacBook : plus fin et plus léger, voici le Crayon ! Plus aucun câble, plus aucun connecteur. Il n’y a même pas besoin de clavier ni d’écran.“
- “Encore plus utile que le Trackpad à retour de force, l’embout gomme qu’on peut mâchouiller aidera à réfléchir, ou à passer le temps.“
- “Jamais besoin de mise à jour, sans aucune faille de sécurité ! Son autonomie se mesure en semaines ou en mois, on n’a jamais vu ça!”
- “Il tient dans la poche, on peut même le faire tenir derrière son oreille comme une oreillette, mais en moins moche et en plus utile.”
- “Le crayon est totalement multitâche, on peut dessiner, écrire, calculer, jouer au pendu ou même l’utiliser pour le planter dans la main d’un sale type qui essayerait de nous peloter.”
- “Le crayon Apple est entièrement pensé pour les réseaux sociaux : non seulement on peut facilement partager ses créations, mais on peut aussi partager le crayon, ou même le couper en plusieurs morceaux pour inviter ses amis à participer, sans risque de virus.“
- “Apple a réussi à créer un outil qui s’adapte à tous les utilisateurs et à toutes les tranches d’âges.“
- “Il n’est pas le plus rapide pour la photo : selon le sujet,
la prise de vuele dessin pourra demander de quelques secondes à plusieurs jours, mais il est doté en standard de la meilleure optique (votre oeil), du meilleur capteur (votre cerveau) et du meilleur filtre créatif (votre imagination).” - “À 89,99€ la ramette de papier et à 169€ le taille-crayon, le Crayon de Apple pourra sembler cher, mais si c’est le prix à payer pour enfin disposer d’un outil simple et bien pensé : ça les vaut.“
- “Optimisé pour Markdown, c’est presque un sans-faute, il ne lui manque qu’un dictionnaire intégré et un module de publication vers WordPress.”
Il y aura certainement au moins une voix critique dans tous ces éloges :
- “Apple enferme encore un peu plus ses utilisateurs dans une prison dorée, avec son Crayon, dont on ne peut remplacer aucun composant.“
Mais le crayon n’est pas signé Apple, et il a le malheur de ne pas être une toute nouvelle technologie. Pire, il existe depuis — ohlala — au moins depuis avant l’invention d’Internet. C’est une vieillerie. Or, les vieux, c’est pas vendeur. Autant dire qu’il y a autant de chance de voir un site technologique lui consacrer sa Une — chiche, les copains de chez macgé ? 😉 — que de voir un(e) politicien(ne) de tenir une promesse électorale, ou un banquier refuser de s’enrichir sur le dos de ses clients.

Je l’aime bien, ce crayon. Le souci, c’est que je ne trouve aucune référence lui correspondant. Je vais demander plus d’infos à FaberCastell, en espérant qu’ils me répondent et, si possible, pas pour m’annoncer que ce modèle de crayon n’est plus produit depuis l’invention du silex taillé.
En attendant, je suis tellement impressionné que j’ai commandé une poignée d’autres crayons, d’autres marques, pour voir si le miracle se reproduit. Ou pas. Et si je peux envisager de continuer à écrire au crayon. Ou pas.
Une vraie révolution. Mes stylos en frémissent.
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