Apprendre (la photo)

“Apprendre” signifie deux choses différentes : c’est donner un savoir et c’est recevoir ce savoir. Non seulement ça, mais il me semble évident que le prof comme l’élève apprennent dans les deux sens du terme — ils donnent et ils reçoivent l’un de l’autre — en même temps. Du moins, c’est comme ça que ça devrait se passer. Y compris pour la photo.

Début juillet, jai passé une semaine chez ma soeur, dans l’objectif d’apprendre la photo à ma nièce qui s’est passionnée pour la photo depuis deux ans et qui, du haut de ses treize ans, souhaitait passer à la vitesse supérieure.

Un objectif bien prétentieux pour un type comme moi, qui n’a plus d’autre contact avec la photo que le plaisir d’en faire. Mais pas de quoi s’inquiéter : si je ne suis pas HCB, je connais un peu le sujet, assez pour lui mettre le pied à l’étrier, je connais “mon élève”, et je n’ai pas peur d’improviser. Et dans le pire des cas, si ça ne marchait pas, on pourrait toujours se rabattre sur les batailles de polochons.

Pas eu besoin de polochons (hélas ?) : Laure a très rapidement assimilé les principes fondamentaux : ouverture, vitesse, ISO, chercher la lumière, jouer des contrastes, etc. — elle a appris assez rapidement, en fait, pour me râler dessus parce que je me “répète trop” 🙂

Mais on n’a quand même pas abordé tout ce que j’avais imaginé, ni même joué avec le quart de la moitié du matériel que j’avais emporté. Par manque de temps — elle avait beaucoup d’autres activités, et pas envie de ne faire que de la photo — et par pure maladresse de ma part : en me montrant trop insistant sur tel ou tel sujet, j’ai réussi à la dissuader de l’explorer… il valait mieux repousser ça à une autre fois, avant de l’en dégouter définitivement.

Le reste des “leçons” se composait de balades, de prises de vue et de discussions informelles — j’ai adoré.

J’ai aussi beaucoup appris. Sur la façon dont on perçoit les choses différemment à 13 ou à 43 ans. Par exemple dans notre rapport aux personnes et au temps — celui qui passe, pas le temps qu’il fait. Le temps n’a pas la même épaisseur, et ne présente pas la même urgence, selon l’âge qu’on a. Et gérer ses relations sociales n’a pas le même sens non plus.

Sur l’importance toute relative des notions techniques ou, plus exactement, du vocabulaire : ce n’est pas sans craintes, les premiers jours, que je l’ai vue s’approprier avec des mots pas toujours justes les notions techniques dont nous discutions… mais, au final, même si le vocabulaire était approximatif j’ai bien senti que c’était clair pour elle, et qu’elle savait comment mettre en pratique cette théorie. Or, la pratique c’est tout ce qui compte. C’est donc moi qui ai en partie ajusté mon vocabulaire en accord avec le sien.

En rapport avec le vocabulaire, savoir s’adapter à son interlocuteur : mon éternelle ironie au nieme degré ne passait pas toujours clairement aux yeux d’une jeune fille de son âge, surtout dans un contexte d’enseignement.

En fait, j’ai pas mal appris sur mon compte. Pas forcément des choses dont je sois fier. Comment je peux être en même temps un type très patient et sympa, et un conard insupportablement exigeant et impatient. Pénible, quoi.

Quelque chose que j’avais déjà mis en ouvre dans ma précédente expérience professionnelle, mais l’effet est toujours aussi puissant : la difficulté qu’il y a à enseigner, ou à travailler, d’égal à égal, sans position d’autorité — et le plaisir incroyable que cela procure quand le dialogue fonctionne sans hypocrisie. En fait, c’est génial ou c’est un suicide. Avec Laure, ça a été génial.

Sur la difficulté qu’il y a à travailler à un rythme qui n’est pas le nôtre (ni la même durée, ni forcément la même intensité). Même si ça ne s’est pas fait sans mal, j’ai apprécié de me calquer sur son rythme à elle.

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Juste après la prise de vue, j’ai noté la feuille au premier plan sur la droite, mais impossible de lui faire reprendre la pose : il fallait passer à autre chose. Apprendre à photographier une ado… et à ne pas rater une photo 😉

Elle a aussi appris à travailler à un autre rythme que le sien, y compris à se lever très tôt pour chasser le soleil… qui, évidemment, ne s’est pas montré ce matin-là — j’en ai entendu, j’vous l’dis 😉

Et j’ai découvert certaines de mes limites, comme enseignant : pas assez sérieux, par exemple.

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Photo : Laure Humfryes, 2014. Non, ce ne sont pas mes lunettes de soleil habituelles. Et, oui il me reste encore des cheveux.

Ou encore ma manie de toujours à chercher le bon côté de toute chose plutôt que d’insister sur les problèmes, ce qui minimise la portée de mes critiques. Je reste persuadé que c’est une bonne méthode, mais elle demande du temps et, peut-être, un travail quotidien sur le long terme, quelque chose que je peux difficilement réaliser quand on ne se voit que quelques jours d’affilée, ici et là.

J’ai appris, à mes dépens, l’importance de l’image : pas l’image photographique, mais l’image que l’on donne de soi, et l’image que les autres ont de vous, le statut — qui es-tu pour prendre la parole et causer photo ? — ainsi que le poids du regard et du jugement des autres sur la façon dont cette image de soi est perçue par une ado très attentive; et bien entendu sur la façon dont moi je perçois son image à elle.

Une des choses qui m’a le plus frappé, de ce point de vue, c’est l’omniprésence de l’école et de ses codes dans la façon dont, ado, elle se construit. Sans doute une évidence pour tout parent, mais une découverte troublante pour moi : le gout des notes, le respect des titres, fonctions, statuts… et ce besoin de comparer.

J’ai aussi réalisé à quel point on peut avoir des idées complètement à côté de la plaque. Moi, le premier.

Par exemple, en lui filant un reflex, avec tous les contrôles manuels, et un 35 (équiv. 50mm) pour la majorité de nos sorties, je m’attendais à l’entendre râler sur l’absence de zoom (et même sur le poids de l’appareil). Rien de cela, je l’ai vu s’approprier l’appareil en quelques instants et elle a immédiatement pigé que le zoom s’était seulement déplacé au niveau de… ses pieds.

Ou encore de la voir réussir à gérer son temps, et me supporter moi, comme peu d’adultes arrivent à le faire.

Bref, Laure aime la photo et elle apprend vite. Et moi ? Moi, je me sens un peu moins coincé — dans le corps comme dans la tête — depuis cette semaine qui a passé trop rapidement. C’était chouette.

Plus tard, elle vous montrera ses photos.

Laure
Armée d’un reflex et d’un 35mm et portant mes lunettes de soleil, un peu trop grandes pour elle.

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