Je n’ai jamais vraiment lu Mark Twain mais, depuis hier, je suis plongé dans ce qui me semble être rien moins qu’un chef d’œuvre, les Adventures of Huckleberry Finn (1885). Ca commence ainsi :
CHAPTER I.
You don’t know about me without you have read a book by the name of The Adventures of Tom Sawyer; but that ain’t no matter. That book was made by Mr. Mark Twain, and he told the truth, mainly. There was things which he stretched, but mainly he told the truth. That is nothing. I never seen anybody but lied one time or another, without it was Aunt Polly, or the widow, or maybe Mary. Aunt Polly—Tom’s Aunt Polly, she is—and Mary, and the Widow Douglas is all told about in that book, which is mostly a true book, with some stretchers, as I said before.
Now the way that the book winds up is this: Tom and me found the money that the robbers hid in the cave, and it made us rich. We got six thousand dollars apiece—all gold. It was an awful sight of money when it was piled up. Well, Judge Thatcher he took it and put it out at interest, and it fetched us a dollar a day apiece all the year round—more than a body could tell what to do with. The Widow Douglas she took me for her son, and allowed she would sivilize me; but it was rough living in the house all the time, considering how dismal regular and decent the widow was in all her ways; and so when I couldn’t stand it no longer I lit out. I got into my old rags and my sugar-hogshead again, and was free and satisfied. But Tom Sawyer he hunted me up and said he was going to start a band of robbers, and I might join if I would go back to the widow and be respectable. So I went back.
The widow she cried over me, and called me a poor lost lamb, and she called me a lot of other names, too, but she never meant no harm by it. She put me in them new clothes again, and I couldn’t do nothing but sweat and sweat, and feel all cramped up. Well, then, the old thing commenced again. The widow rung a bell for supper, and you had to come to time. When you got to the table you couldn’t go right to eating, but you had to wait for the widow to tuck down her head and grumble a little over the victuals, though there warn’t really anything the matter with them,—that is, nothing only everything was cooked by itself. In a barrel of odds and ends it is different; things get mixed up, and the juice kind of swaps around, and the things go better.
C’est bon (et la suite ne déçoit pas). Tellement bon que j’ai pensé le mettre dans les mains de ma nièce (sur le Kindle que je vais enfin pouvoir lui donner) et me suis mis à la recherche d’une version en français, vu qu’elle n’a pas encore un niveau d’anglais suffisant pour lire toute seule.
Mon premier réflexe a été de chercher une traduction du domaine public. J’ai trouvé celle de William Little Hughes (1886, proposée à la fois par Wikisource et la BEQ). Traduction, dont je copie ici les “mêmes” premiers paragraphes. Accrochez-vous à vos bretelles, ça secoue :
I. Huck Finn se présente au lecteur
L’ami de Tom, c’est moi, Huckleberry Finn. Si vous n’avez pas lu les Aventures de Tom Sawyer, vous ne me connaissez pas.
Cela ne fait rien : nous aurons vite lié connaissance. M. Mark Twain vous a raconté l’histoire de Tom, et il y a mis un peu du sien, même en parlant de moi. Cela ne fait rien non plus, puisqu’on m’assure qu’il n’a ennuyé personne. La tante Polly, Mary Sawyer et la veuve Douglas ne disaient jamais que la vérité, et elles n’étaient pas toujours amusantes. Je parle de la tante de Tom, de sa cousine, et de la veuve qui m’avait adopté.
Au fond, sauf quelques enjolivements, M. Mark Twain a rapporté les faits tels qu’ils se sont passés. Pour ma part, je n’ai pas assez d’esprit pour inventer, je raconterai donc simplement la suite de mes aventures.
Or voici comment finit le livre de M. Mark Twain :
Tom et moi, nous avions découvert un trésor caché dans une caverne, et nous étions devenus riches. Six mille dollars chacun — une jolie fortune pour des orphelins de douze à treize ans ! Tom avait sa tante qui ne le laissait manquer de rien, si elle le tarabustait un peu. J’étais moins orphelin et plus libre que lui. Mon père vivait encore ; mais il avait disparu depuis longtemps. Je ne tenais pas à le voir revenir, parce qu’il me battait quand il avait bu, c’est-à-dire tous les jours. J’aurais mieux aimé n’avoir qu’une tante.
Du reste, on se montrait bon pour moi, et je ne me rappelle pas avoir jamais eu trop faim. L’été, je dormais dans un tonneau vide ; l’hiver, je couchais dans une grange. Mon genre de vie me convenait. Personne ne s’occupait de moi, parce que j’étais pauvre. Je plaignais Tom, qui ne pouvait pas monter en bateau, se baigner ou pêcher à la ligne plus de deux ou trois fois par semaine. Par malheur, mon argent vint tout gâter, et je me trouvai dans le même cas. L’avocat Thatcher plaça mes six mille dollars à intérêt, de façon à leur faire rapporter un dollar par jour. La veuve Douglas, à qui j’avais rendu un grand service, m’adopta, comme je l’ai dit, et déclara qu’elle voulait essayer de me civiliser. J’étais habitué à vivre à ma guise et ça ne m’allait pas du tout de rester enfermé dans une maison, de me lever, de manger, de me coucher à heure fixe. Et puis, mes habits neufs me gênaient. À la fin, je n’y tins plus et je décampai, après avoir repris mes vieilles nippes. Pour la première fois depuis longtemps je me sentis à l’aise, libre et content. J’avais retrouvé le tonneau où je dormais sans me donner la peine de me déshabiller. Personne ne m’empêchait de flâner dans les bois, de m’allonger sur l’herbe ou au bord de l’eau, et de dégringoler le long des berges. Je pouvais fumer sans avoir besoin de me cacher.Une seule chose me tracassait. Les provisions dont mes poches étaient pleines ne dureraient pas toujours, et on remettrait le grappin sur moi, si je reparaissais dans les rues. Je n’eus pas le temps de m’inquiéter. Tom me relança au bout du second jour et me gronda plus fort que ne l’avait jamais fait la veuve.
— Tu as beau crier après moi, lui dis-je, j’aime mieux vivre comme autrefois, au lieu de me laisser civiliser.
— Vivre comme autrefois ? Allons donc ! Aujourd’hui personne ne te donnera à dîner en échange de ta pêche.
— Tu crois ?
— J’en suis sûr. Maintenant que tu es riche, tu ne dois pêcher à la ligne que pour t’amuser. Si tu te présentes avec un beau poisson, on l’acceptera et grand merci ! On te permettra peut-être de conduire les chevaux à l’abreuvoir ou de mener paître les vaches ; on n’aura pas l’idée de t’offrir une bouchée de pain. On te réclamera plutôt de l’argent, parce qu’on se figurera que cela t’ennuyait de te promener seul.
— Je ne suis pas fier ; je dirai simplement : j’ai faim.
— On te rira au nez et on te demandera ce que sont devenus tes six mille dollars.
— Un individu ne peut donc pas faire ce qu’il veut quand il est riche ?
— Non ; du moins, pas avant d’avoir vingt et un ans.
Comme je ne paraissais pas convaincu, Tom trouva un autre moyen pour me décider. Il me raconta que la bande de voleurs dans laquelle il avait promis de m’admettre serait bientôt organisée. Les autres m’avaient déjà accepté pour lieutenant ; mais ils ne voudraient plus de moi, si je m’obstinais à m’habiller aussi mal et à coucher dans un tonneau.
Je retournai donc chez Mme Douglas, qui me reçut à bras ouverts et ne m’adressa pas trop de reproches, de sorte que je fus fâché de lui avoir causé de la peine. Elle me fit endosser mes habits neufs. La vieille histoire recommença. La cloche sonnait pour annoncer le déjeuner, le dîner ou le souper. Que l’on eût faim ou non, on était tenu d’arriver à l’appel et de rester à table jusqu’à ce que le dernier plat eût été servi. Au bout de dix minutes, j’en avais toujours assez, et je ne demandais qu’à m’en aller. Ah ! bien oui. Chez les gens civilisés, les choses ne se passent pas ainsi. Pour peu que l’on mange vite, il faut regarder manger les autres, et sans bâiller encore ! J’eus beau me plaindre, la veuve tint bon.
WTF?
C’est le même texte ? Je suis tombé dans une faille entre deux univers parallèles, ou quoi ?
Et je ne vous montre que les trois premiers paragraphes. C’est encore plus dramatique dans la suite : le texte (avec le récit, avec la complexité que Twain donne aux personnages) est juste… castré.
Peut-être est-ce une édition “améliorée” (sans blague ? Moi, je dirais “stérilisée”) pour les jeunes lecteurs francophones ? Je n’ai pas vu le moindre avertissement à ce sujet sur Wkisource ou sur la BEQ (autant pour le travail d’éditeur, les gars)… Encore une fois, je ne connais pas Twain, et encore moins ses traductions : je suis preneur de toute explication.
Mais une chose est sure : si je dois donner à lire les aventures de ce cher Huck à ma non moins chère nièce, c’est comme Twain les a écrites. Ce ne sera donc pas dans cette traduction.
J’ai bien trouvé une version Kindle sur amazon.fr, mais sans mention du traducteur, et à 99c, je m’attends à une simple repompée de Wikisource…
D’où ma question :
Connaissez-vous une bonne traduction de ce livre ? Si possible, en version numérique sans DRM, sinon avec DRM ou même imprimé sur du bois mort. Parce que je souhaite vraiment faire lire ce superbe texte à ma nièce. Merci d’avance.

Notez que ce n’est pas la première fois que je tombe sur le cul en comparant une trad. et son original, ça m’avait fait le même effet (un peu moins violent, quand même) de lire “Slaughterhouse Five” après avoir subit “Abattoir cinq”.

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