Ma naïveté est inépuisable. Ce matin, j’ai envie de partager avec vous mon étonnement quant au bac et à la “triche” dont les médias nous bassinent depuis quelques jours. (Pour ceux qui auraient du mal avec ça, je signale que ce billet n’est pas rédigé sans une certaine dose d’ironie.)
En France, donc, y a le bac. Faut pas déconner, c’est important, le bac.
Cette année, le bac est secoué par un scandale de tricherie “high-tech” (une photo volée au smartphone et sa publication en ligne) : des étudiants auraient ainsi obtenu par avance une des (quatre) questions de l’examen de mathématiques. Les coupables sont arrêtés (cinq, à ce jour) et risquent jusqu’à 3 ans de prison (et quelques milliers d’euros d’amende). De la prison, ça m’a scié je ne vous le cache pas.
La presse, qui n’aime rien tant qu’avoir des scandales à étaler avec des trémolos dans la voix, nous explique depuis lors que la “la triche” est un véritable sport national et qu’une majorité des étudiants reconnaissent avoir triché au moins une fois. Maisquefaitlapolice et c’estunmondecruel, mondieumondieumondieumondieu
Faut-il vraiment s’étonner de cette tricherie ?
C’est salement hypocrite, quand on y pense. C’est ne pas tricher, qui devrait nous surprendre. Suer, faire un effort, passer du temps alors que la facilité, l’immédiateté et le chemin le plus court, à chaque occasion tout autour de nous (et par nous-mêmes), sont valorisés ? Ne pas tricher est crétin.
En fait, tant qu’avoir le bac est plus important qu’avoir assimilé les connaissances qu’il est sensé valider, il me semble assez compréhensible que certain(e)s trichent pour l’obtenir.
Avoir le diplôme. Plus que la connaissance. C’est ça le vrai problème, c’est pour ça qu’on triche. Il faut que tu aies ton bac, mon fils.
Si le savoir primait sur le papelard, tricher ne servirait à rien : à la première occasion, sorti de l’école avec son diplôme mal acquis, le tricheur serait démasqué, son ignorance dévoilée au monde par son incompétence. Sauf que ce n’est pas ce qui se passe. C’est comme si le diplôme avait le pouvoir magique de rendre l’ignorance, l’incompétence ou la connerie la plus abrutissante tout simplement invisibles et dotait, en échange, son porteur de toutes les qualités — Abracadrapouf
yes. Comme ça, d’un coup.
La France est laïque. Mais elle a pourtant une religion non officielle qui imprègne toutes les classes sociales : le culte du diplôme. Le saint diplôme, le sésame qui ouvre les portes du travail. L’assurance job.
Ca a été un véritable choc pour moi, quand j’ai débarqué en France, de réaliser qu’il me fallait montrer mon diplôme juste pour espérer pouvoir postuler à tel ou tel travail. Sans diplôme, tu n’es rien. T’as pas de diplôme ? Tu peux crever, connard (en gros).
Et tout le monde semble considérer ça comme normal. Les parents qui poussent au cul de leurs enfants non pas pour développeur leur intelligence, leur culture ou encore leur capacité analytique mais pour “avoir le bac”, les magazines qui publient des méthodes pour réussir — pas pour mieux “comprendre” mais pour “réussir l’examen” — et les éditeurs qui publient des ouvrages synthétisant les matières pour savoir quoi régurgiter et quand pour satisfaire les correcteurs (tout Kant en deux pages, roule ma poule tu l’auras ton examen). Les magazines (encore eux) qui publient des dossiers pour savoir quelles écoles s’offrent au jeune bachelier, ou au pauvre “pas bachelier”. Les entreprises, qui regardent le diplôme avant de s’intéresser à son porteur. Etc.
Pourtant, un diplôme ce n’est pas ça. Cela ne devrait pas être un ticket gagnant pour gagner un job, le prix à payer pour avoir un salaire. Un diplôme, c’est censé valider les connaissances acquises. Rien de plus :
“L’élève Dugommier a réussi son examen de mathématiques, il est donc apte à faire des additions”.
C’est très différent de :
“L’élève Dugommier a réussi son examen de mathématiques, il sera donc banquier, comptable ou spéculateur”.
Rendez au diplôme son rôle premier et vous limiterez la nécessité de tricher pour l’obtenir.
Si votre enfant a triché: réjouissez-vous: c’est l’indice qu’il a compris que nous visons dans un monde où il n’y a plus de place pour l’échec ou l’incertitude, où tous les moyens sont bons pour réussir. (Y compris mettre en péril la réussite de tous les autres étudiant(e)s qui passent le bac en même temps que lui).
Je parlais d’hypocrisie : qui aura l’indécence de reprocher à des jeunes gens de tout faire pour essayer de trouver un job à notre époque ? Quand toute la société est en adoration devant le saint Travail, alors que même le chef de l’Etat voue un culte à l’idée de travailler jusqu’à l’âge du cercueil ou presque. Quand tout le monde ou presque considère le chômage comme une déchéance sociale (alors qu’il ne s’agit jamais que de ne pas avoir de travail) ? Alors que, bien plus que le droit de vote, c’est le volume de ta paye (et la taille de la carte de visite) qui tient lieu de véritable pouvoir. Quand la tricherie elle-même — celle des banques qui ne font de profit qu’en baisant leurs clients ou celle des entreprises qui trouvent toujours un moyen de contourner les lois, celle des politiciens magouilleurs ou celles des stars de la chanson ou du sport qui savent comment ne pas payer d’impôts — est célébrée et récompensée jour après jour ?
Oui, mais c’est ainsi. On n’y peut rien, David !
Bien sûr que si.
S’il y a un responsable à ce “problème” de triche, je suggère à tous les parents (et à chacun de nous aussi) de le chercher devant un miroir.
Je vous avais prévenu, je suis naïf. Inépuisablement.
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