Elles viennent comment les idées, dis maman ?

Puis qu’on parle d’écrire : ça vient comment les “idées” ? Perso, c’est par vague : un matin le robinet s’ouvre et pendant plusieurs jours je m’éveille encore plus tôt que d’habitude, pour noter les idées qui se bousculent. Dans ces périodes là, je pose un cahier au pied du lit car c’est (presque) toujours très tôt le matin, bien avant de prendre mon premier café (qui a bien meilleur goût, après avoir écrit). Après quelques jours, le flot s’interrompt. C’est bizarre, je veux dire j’ai rarement une idée en lisant un article dans le journal : “un chasseur abat le dernier cerf de la forêt de Troufignou-les-oies, le maire en fait venir un couple de la ville voisine” — paf ! Que se passerait-il si une mutation génétique provoquée par le réchauffement climatique rendait les cerfs à la fois anthropophages et invulnérables à la chevrotine, en pleine saison de chasse à Troufignou-les-oies ? — , mais ce même article va discrètement me chatouiller la cervelle jusqu’à ce qu’un matin je me réveille… en voyant un chasseur à bout de souffle après une fuite désespérée, se faire dévorer vif par un cerf mutant et en colère. Bien fait pour sa pomme, l’avait qu’à pas faire ch*er Bambi et sa famille !

La plupart de ces idées ne vont pas plus loin que le cahier de brouillons. Mais pas toutes. Y en a une en particulier que je n’ai jamais oubliée tant elle était précise et baroque. Il y a au moins 10 ou 15 ans de ça, déjà ! Elle est devenue une histoire, celle d’un samouraï fantôme (mais dont le sabre n’avait rien de fantomatique, lui), en costume d’époque (couleurs vives et belles étoffes) et le visage peint, qui poursuivait mon gentil personnage, Ulysse (celui de l’Odyssée et de l’Iliade, mais en costard cravate) pour en faire du sushi. Il y avait une histoire de bonne femme entre eux deux, s’étendant sur plusieurs générations.

Si l’on excepte la mise en place, l’essentiel de l’histoire se déroulait dans des souterrains qui étaient un mélange de terrier de lapin (enfin, j’imagine : j’y suis jamais allé voir, à part en lisant les aventures de Alice, mais le sien n’était pas un lapin tout à fait comme les autres) et de pièces du château de Versailles remplies de miroirs — laissez les manuels de psychanalyse de côté, merci. Ulysse, donc, était tombé dans un piège tendu par une Circée des temps moderne, pour lui échapper il avait préféré se jeter dans un puits — je vais pas le répéter à chaque phrase : laissez les manuels de psychanalyse de côté, merci — où il se retrouvait dans une tribu de nains, d’abord indifférents à sa présence, qui passaient leur vie à fabriquer des objets dans un joyeux vacarme (genre opéra de Wagner), et où l’attendait aussi le méchant samouraï dont je vous ai parlé, pas du tout indifférent à sa présence, lui: entièrement occupé à vouloir lui trancher la tête. C’était déjà tordu, mais ce qui m’avait scotché en relisant mes notes, c’était la précision dans les détails, un vrai film.

Je vous passe les péripéties. Mais ce brave Ulysse parvient à dégommer le méchant sabreur en s’emparant d’un… stylo plume, fabriqué par les nains (devenus ses amis), qu’il utilise comme une épée, puis il remonte à la surface — j’en vois qui feuillettent leur bouquin de psychanalyse, je vais me fâcher ! — pour régler son compte à cette salope de Circé, pour s’apercevoir qu’elle n’y est pour rien, ou si peu. J’ai perdu mes carnets de l’époque, mais cette idée qui est sortie quasiment toute rédigée d’un rêve agité (et d’une période assez mouvementée dans ma petite vie), je ne l’ai jamais oubliée… Même si l’histoire que j’en ai tirée ne cassait pas trois pattes à un canard.

Entre nous, j’aimerais bien avoir des idées sérieuses : des idées dont je n’aurai pas l’impression qu’elles démontrent toutes de façon dramatiquement risible que je ne serais jamais que le bouffon au fond de la classe, mais j’y peux rien: je n’ai jamais d’idées sérieuses et à l’école déjà j’étais le bouffon au fond de la classe.

me in 1999
Moi en 1999, photo prise par Caroline — hello ma belle 🙂 Comment va ? Au cas où tu passes dans le coin.

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