Le bruit

« Il est trop sensible au bruit », c’est ce que dit de moi ma compagne. Elle a tort : je suis allergique aux bruits.

Détester le bruit, ça peu sembler étonnant pour quelqu’un qui a vécu presque toute sa vie en ville et qui n’envisage pas de retraite prochaine dans une campagne aussi silencieuse que perdue au fin fond de tout — pourtant ça n’a rien d’illogique, à mon avis, si l’on perçoit la différence entre bruit et bruits. Je déteste les bruits.

J’aime la ville et j’aime son bruit. Ce bruit est comme une respiration, le battement d’un coeur, une vie que l’on écoute vivre. C’est bon, c’est rassurant, même s’il agace parfois. Les bribes de conversations, toutes nos activités, le repas de famille des voisins, en été, les fenêtres grandes ouvertes, les couverts qui tintent sur les assiettes ou les jeux d’enfants dans la cour,… Tout ça fait un son riche, dont le tempo ou la mélodie peuvent varier mais qui toujours porte parole, témoigne de quelque chose auquel on participe, ou est invitation à y participer. Au minimum, c’est la reconnaissance de quelque chose qu’on a en commun, que l’on vit ensemble ici.

Ce que je n’aime pas ce sont les bruits. Tous ces sons incongrus — je vais éviter le mot étranger — , ceux que j’appelle des « bruits égoïstes ». Un bruit est égoïste quand il n’appartient à aucun ensemble, ne fait pas corps avec la cité, la rue ou l’immeuble, etc. Quand il n’est qu’un jailissement aussi violent que dépourvu de sens, quand il n’exprime rien que l’égoïsme d’une personne ou de quelques unes; moi moi moi moi moi pourrions-nous entendre derrière chacun de ces bruits là, s’ils laissaient la moindre place à autre chose qu’eux-mêmes. Leur égoïsme même les privant de toute signification, ils ne peuvent dès lors plus être perçu que comme une agression aux oreilles des autres.

Ce sont les voitures, ou les motos, qui accélèrent à fond de caisse dans une rue déserte parce que ça chatouille les hormones du conducteur, la télé qui hurle chez un voisin, ce klaxon qui vient de briser un silence magique pour la seule raison de tourner plus rapidement le coin de la rue, ou encore l’appartement des parents transformé le temps d’une soirée en boîte de nuit — mais c’est une une seule nuit par an répondra… chacun des 365 habitants de l’immeuble. Mais c’est une fraction de seconde répondre chacun… des deux millions (?) d’automobilistes qui circulent dans Paris. Mais ça ne va pas fort répondra mon voisin l’air choqué en pointant le doigt vers sa télé.

Au fond, si l’on y pense un instant ces bruits là aussi sont porte-parole, ils nous délivrent leur message qui pourrait tenir dans une phrase toute simple : « je vous emmerde ».

Je n’aime pas ces bruits là.

Ne sont-ils pas révélateurs de notre relation aux autres, chacun d’entre-nous et de notre société elle-même avec les autres ? Cette façon de dire merde, de se servir sans mesure et sans repect pour l’autre, justement. De tout casser ou de jeter ses papiers sur le trottoir et poursuivre son chemin comme si de rien n’était.

* * *

Bon allez, je vais baisser le volume de la télé… Ah ben non, je n’ai plus de télé (enfin presque).

Eteindre la télé ou, mieux, plus de télé du tout, ça offre de nombreux avantages dont celui d’avoir un peu plus de temps pour faire d’autres choses. D’ailleurs, je vais vous souhaiter une bonne nuit : La source étrusque de Sebastiano Vassalli m’attend depuis trop longtemps.

…Mais cette première fois, c’est moi qui sautait sous le fouet et l’on peut imaginer qu’elle était mon humeur. L’idée qu’un inconnu pût m’acheter comme on fait l’emplette d’un poulet ou d’une casserole de cuivre pour ensuite disposer de moi selon son caprice me rendait fou de peur et de colère. Esclave ou pas, pensais-je, j’étais avant tou un être humain ! Je savais lire et écrire et je savais développer un raisonnement, même compliqué. Je n’étais pas un objet sans vie et pas davantage un animal (…) Je m’en prenais aux dieux de l’Olympe. Je leur demandais pourquoi ils toleraient que nosu autres hommes fussions divisés en deux catégories : celle des hommes libres — qui ne sont vraiment tels que s’ils ont de l’argent —  et celles des esclaves, qui doivent subir toujours et en toutes circonstances le bon plaisir des autres.

(La source étrusque, Sebastiano Vassalli. Grasset)

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