CRIE-moi ton amour, je te HURLERAI mon indifférence


La TV est un rouleau compresseur. Je ne parle pas du flot d’images qui se déverse pour tapisser les murs du salon (et l’intérieur du crâne des spectateurs) en un délire coloré. Je parle du son.

On peut fermer les yeux pour échapper aux images, mais comment échapper au bruit ? Il n’y a jamais de silence à la TV.

La TV n’a sans doute rien inventé, nous avons toujours vécu dans le bruit. Se rassembler autour du foyer a toujours signifié entrer dans un cercle de bruits. Du moins, je peux l’imaginer sans trop craindre de me tromper, y compris jusque dans la préhistoire, quand nous n’échangions que des grognements réunis autour d’un feu à l’entrée de la grotte, nous disputant les morceaux de viande; un peu à l’écart on entendait le claquement d’une pierre contre une autre, l’ancien — personne ne lui disputait le plus beau morceau de viande — taillait les silex. Tailler la pierre et faire du feu, ou mourir de faim et de froid. De plus loin, au fond de la caverne, d’autres bruits laissaient espérer que la tribu allait s’agrandir dans quelques mois.

Ca ne se passait peut-être pas du tout de cette façon, mais il y avait des bruits. Des bruits qui inquiétaient, à l’extérieur dans le noir, dans le froid mais autour du foyer, ce feu si précieux, les bruits étaient rassurants: ici il y a de la chaleur, ta famille, des alliés. Ici, tu es chez toi, à l’abri. Il y a de la vie, ici.

La TV a remplacé le feu dans le rôle du foyer préhistorique, mais je ne suis pas certain que les bruits de la TV aient le même sens. Ne ressemblent-ils pas plus à un bombardement ne laissant que ruines et têtes broyées? Au souffle d’un prédateur impitoyable? Une solitude sans espoir?


Vous l’aurez deviné, depuis un moment je supporte l’assaut de la TV des voisins. Ca chante, ça crie, ça… hystérise, ça émotise, ça larmoyise, ça applaudise. Sans répit. Sans repos, jour après jour.

Forgeron frénétique qui martèle les têtes pour en chasser toute imagination et n’y laisser que des informations; séparant les parents des enfants, les papas des mamans, la TV poursuit son travail d’extermination. Mes voisins, dans ces moments-là, je ne peux que les imaginer vissés dans leur fauteuil, muets et solitaires l’un à côté de l’autre, tels des oies que l’on gaverait par les yeux et les oreilles, jusqu’à ce qu’il soit l’heure de se coucher ou d’aller pisser — tu veux un Coca? Une bière? Non, apporte-moi des chips.

Ils attendent sagement, comme des jouets abandonnés, que quelqu’un leur insuffle un peu de vie ou les range dans un placard. D’ailleurs, eux, ils ne font jamais de bruit. Au fond, mon voisin c’est leur TV.

Mais je me trompe sûrement.

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