Je suis tombé par hasard sur un poème de Trakl que je n’avais plus lu depuis douze ans, ou plus. Voici les deux derniers vers :
Die heiße Flamme des Geistes märht heute eine gewaltiger Schmerz,
Die ungebornen Enkel.
(Georg Trakl, Grodek)
Je ne parle parle pas vraiment Allemand, je déchiffre les mots, un peu. Voici donc une traduction enpruntée à Jacques Legrand :
L’ardente flamme de l’esprit se nourrit aujourd’hui d’une douleur violente,
Les descendants qui ne sont pas nés.
(Trakl Poèmes II, GF Flammarion, édition bilingue)
Ces deux derniers vers m’avaient touchés à l’époque et c’est encore le cas aujourd’hui. Ce mot, ungebornen, paraissant signifier bien plus que « pas né » dans la version française.
Il faut replacer le poème dans son contexte. Grodek, avec Klage (La plainte), sont les deux derniers poèmes écrit par Trakl, sur le front pendant la première guerre mondiale. Grodek est une bataille… un massacre et c’est de cela que le poète parle : la mort, tous ces cadavres, la plaine inondée de sang. Trakl est mort peu après.
Ce vers est le coeur du poème, (et ce coeur est) un trou vers lequel tout le reste glisse lentement. Il s’y cache quelque chose de bien plus épais que l’idée abstraite de personnes qui ne vont pas naître. Il est lourd de toutes ces existences à venir dont le poète est témoin et que, seul, il préserve de l’oubli. Die ungebornen Enkel, le mot semble craquer sous leur poid, éclater sous leur nombre.
Regardant le champ de bataille, le poète voit vivre ces générations futures, et il les voit disparaître : arrachées du monde à travers le temps. Cruellement repoussées vers le néant, vers un ventre qui n’aura jamais été fécondé. Toutes ces existences futures, devenues impossibles et pourtant réelles, se sont réfugiées dans son regard et s’y agrippent.
Ce vers est un affaisement, c’est l’effondrement de l’avenir sur un présent insensé. Tout se fond et se confond avant de disparaître. Du moins c’est ce que semble (me) dire Trakl, mais c’est peut-être parce que je parle pas Allemand !
Ok, je radote. La prochaine fois j’ouvrirai une BD, rassurez-vous.
De toute façon, faut retourner bosser.
PS : Le poème orginal : Grodek. J’imagine qu’il n’y a plus de problèmes de droits ?