Anthony parle avec lucidité du nouvel “email” Facebook :
À la manière d’un système comme Synergy chez Palm, ce projet, disponible sur invitation privée pour le moment, décide tout seul comme un grand sur quel média envoyer un message. Ce n’est plus le support qui est important, c’est le message lui-même, et la personne à qui il est adressé, peu importe qu’il le soit par courriel, SMS ou IM.
Anthony
Là, je ne suis pas d’accord.
Le support n’a jamais été important, c’était le message qui comptait. Personne ne souhaitais envoyer “un email” ou “un SMS”, on envoyait un message.
La vraie différence, avec le service de Facebook, c’est qu’on passe d’un modèle où l’utilisateur (doit) choisi(r) le support par lequel envoyer son message (une prise de décision, donc) à un modèle où c’est l’outil qui décide à la place de l’utilisateur comment expédier le message pour atteindre le correspondant.
Ce nouveau type de messagerie unifiée est intrigant, et répond de manière élégante à certains problèmes, même si l’on pourrait regretter qu’il affirme un peu plus le noyautage de Facebook, qui devient un Internet dans l’Internet, un réseau dans le réseau. Reste qu’après l’échec de Google Wave, qui était lui aussi très élégant techniquement, je ne parierai pas un kopek sur sa réussite.
Anthony
Le noyautage de Facebook est un problème. Aucun doute à mes yeux, c’est pas pour rien que je m’en suis exclu : Facebook, sans mes fesses.
Mais ce n’est pas Facebook le problème (je ne crois toujours pas en la légitimité de la chasse aux sorcières).
La société concernée pourrait s’appeler AssMagazine ou même GoogleDigest et être dirigée non pas par un milliardaire égocentrique mais par un collectif socialiste de camarades, que ça ne changerait rien. Pour moi, le problème c’est notre capacité à tout abandonner aux mains d’un tiers en échange d’un gain de confort et de simplicité, là où il n’est peut-être pas le plus judicieux. On désapprend à utiliser l’outil et à le… comprendre. (et oui : ça vise aussi notre (ma) relation à Apple).
Excusez la prétention du truc (si ça peut vous apaiser, imaginez-moi tout nu sur scène, coiffé d’oreilles de lapin PlayBoy, en train de vous lire ce texte avec en fond sonore la musique de “la danse aux canards”), je vais copier-coller un extrait d’une longue interview que j’avais faite il y a plusieurs mois de ça et qui n’a jamais été publiée. Elle était consacrée à l’iPhone, mais ça me semble intéressant ici aussi :
Dans “technologie”, il y a deux mots hérités du grec qui font référence à ceux notions capitales, en gros : “savoir-faire” et “discours”. La technologie c’est à la fois la capacité à faire quelque chose et la capacité de transmettre ce savoir. De le reproduire.
Nous en sommes loin. Il n’y a plus ni production (ou seulement une poignée de joueurs), ni transmission de rien du tout. Juste une consommation.
Ca ne concerne pas que l’iPhone ou l’iPad qui, de ce point de vue, ne sont jamais que les meilleurs produits disponibles aujourd’hui. C’est vraiment une tendance de société profonde, au-delà des phénomènes de surface des gadgets électroniques, qui touche tous les aspects de notre existence.
Malgré une surenchère de vocabulaire donnant l’idée de faire quelque chose (“tchater”, “surfer”,”social”, “réseau”, “communauté”, “amis”, “suivre” être “suivi”, etc.) et parfois même de toute puissance — l’incroyablement scandaleux “illimité” des opérateurs de téléphonie ou le “iQuelque chose” de Apple (“i” = “je”, en anglais) — une bonne part des outils et des services proposés me semblent pourtant ne plus servir à rien faire, à part maintenir un flux de consommation qui fait vivre et prospérer des industries entières.. mais dans quel but ? Bien malin qui pourrait le dire. Et à quel prix ?
La technologie semble être devenue sa propre fin, ne plus servir qu’à sa propre reproduction. C’est illogique. Et c’est lourd de conséquences.
En apparence tout semble plus simple. L’iPhone et l’iPad (et le nouvel “email” de Facebook) en sont l’exemple parfait. Mais en réalité c’est d’une complexité folle (seule une poignée de personnes ont les compétences requises) et c’est hyper coûteux à développer. Deux choses qui rendent bien difficile, voire impossible d’apprendre à faire la même chose par nous-mêmes.
Je ne veux pas dire que tout le monde devrait pouvoir fabriquer son téléphone (encore que : où et comment a été inventé le premier téléphone ?) mais combien sont capable d’investir en recherche comme le font Apple, Google ou même Microsoft (ou Facebook) ? Combien d’entreprises concurrentes ou même combien… d’Etats pourraient le faire ?
(Même si elle est excessive, cette question n’est pas totalement stupide : on parle bien de gérer nos moyens de communications ici, les espaces d’échanges de demain, de les confier à des outils et à des sociétés privatisées. Où sont les espaces publics libres dans ce monde de services informatiques ? Où sont les Agora, les assemblées nationales qui légifèrent, les urnes où l’on dépose nos bulletins de votes. Où sont les serrures aux portes de nos maisons et de notre vie privée ?)
Pour en revenir à ce que je disais, l’immense majorité des utilisateurs des technologies, nous, n’ont aucun savoir-faire en dehors de l’utilisation de l’outil : on sait cliquer sur des boutons ou presser un écran tactile, mais ensuite ? On reste totalement dépendant du bon vouloir des fournisseurs d’accès, des fabricants du gadget, des distributeurs.
Je ne dis pas que c’est mauvais en soi. Mais j’ai peur que cela se fasse au prix d’un renoncement à la compréhension des mécanismes en jeu. Et sans compréhension, pas de contrôle.
Or, je ne suis pas persuadé que ce soit bon de se laisser dépasser par nos outils. Mais là c’est le lecteur de science-fiction qui parle.
(moi, mars 2010, édité pour faire référence à Facebook)
Bref, adopter le système Facebook ne se fait pas dans le vide, dans un espace neutre. Mais dans un espace marchandisé. Et la marchandise c’est nous.
La question à se poser c’est: ne plus avoir à réfléchir au support d’un message vaut-il le prix demandé par Facebook ? Quel prix, me direz-vous ? Un caméra plantée en permanence dans notre cul et tous nos outils de communication appartenant à une seule entreprise.
J’enlève mes oreilles de lapin. Je ne vous en veut pas d’avoir rigolé, pas de souci 😉
Edit @14h50 : un peu dans le même genre, à quoi ça sert, un musée ?

Pingback: @facebook.com, reloaded. - Anthony Nelzin