Je suis rentré les mains vides de ma sortie photo. Enfin, pas complètement, vu que j’avais déclenché douze fois. Douze fois de trop — j’ai tout supprimé.
J’avais hésité à faire cette sortie — pas dormi, la tête enfoncée dans une certaine partie de mon anatomie que je ne nommerai pas ici. Et, sans surprise, la sortie fut pénible du début à la fin : bruit et puanteur des rues saturées de bagnoles, au coeur de Paris, lumière bofbof, passants trop ou pas assez… passants, etc. Et même, il y avait ce satané 50 mm qui me manquait déjà tant.
Du moins, c’est ce dont j’essaye de me persuader : que c’est la faute à cette méchante ville de Paris, à ces affreux/affreuses automobilistes, à ces toujours trop pressés promeneurs, à l’appareil photo qui refusait de m’obéir, et que si la lumière était payante, alors, aujourd’hui on aurait du nous rembourser. Que le monde entier — l’infâme — s’était ligué contre moi, pour m’empêcher de faire une chouette photo ou, à défaut, pour m’empêcher de passer un agréable moment à en chercher une.
Sauf que la réalité, comme la vérité, est ailleurs : j’étais de mauvaise humeur et j’ai traversé les rues de mauvaise humeur. Sans rien regarder autour de moi, sans rien voir ou, plutôt, en ne cherchant à voir que ce que je voulais photographier, pas ce que je pouvais photographier.
J’ai traversé les rues en cherchant autour de moi un reflet de ce qui occupait mes pensées — rien de bon — au lieu de faire taire ma tête et d’ouvrir les yeux et me rendre disponible à ce qu’il y avait à photographier.
Au fond, le seul vide dont je peux témoigner aujourd’hui, ce n’est pas dans les rues que je l’ai trouvé, ni dans la carte mémoire de l’appareil photo. C’est en moi.

Il y a aussi un peu, je pense que j’y suis allé les mains dans les poches : sans objectif concret : photographier des jambes, des têtes, des reflets, des pavés, etc. n’importe quoi, mais quelque chose de décidé d’avance qui servirait de fil rouge et de déclencheur… même si c’est pour l’abandonner complètement une fois que la machine s’est mise en route.
Si me balader sans but fonctionne bien quand je suis dans le bon état d’esprit, il semble évident que c’est une catastrophe le reste du temps.
Paysages (f8, 1/100).