Question piège

C’est une drôle de sensation de tourner la page d’un roman — plus exactement, d’un recueil de nouvelles d’un auteur — et, en plein milieu d’un dialogue, voir l’histoire partir dans une direction absolument inattendue. C’est la même héroïne, les mêmes lieux et pourtant… Le rythme, l’importance respective des personnages, tout est différent. Ce n’est plus le discours d’un guide touristique, c’est nous-même dans la peau d’un autre ! On peut toucher cette table chargée de nourritures exotiques en avançant la main; sers-toi, me dit Kalil qui se tient dans l’entrée et me sourit. Je lui souris. Au loin, on entend claquer les pieds nus du personnel sur les dalles usées et humides. Visiter ce bâtiment, salle après salle, comme emporté par le courant des conversations à voix basses, et des gémissements, tout autour. La chaleur dont l’auteur nous parle en vain depuis la première page, on réalise à quel point elle nous cuisait la peau et la tête à présent qu’on est entré dans ce bain public. On aime cette fraîcheur et ces murs épais, couverts de céramiques de Ghille. Le bain, où l’on vient se laver mais pas seulement. On y vient aussi pour baiser, hommes et femmes, des jours durants. Et où pourrait-on baiser ailleurs avec cette chaleur?

Page après page, on se surprend à adorer ce qu’on lit, enfin, on sourit devant l’imagination de l’auteur.

Et puis le chat vous saute sur les genoux — parce qu’il a envie d’une caresse ou parce qu’il veut vous raconter comment c’est gris, dehors, et comme ça l’ennuie. Vous vous étiez assoupis, le roman vous était tombé des mains et vous rêviez cette histoire, dans l’histoire.

Question piège, disais-je: en cette époque de droit paranoïaque, si je notais cette histoire née d’une autre, le temps d’un assoupissement, entièrement basée sur le travail d’un(e) autre mais, croyez-moi, qui n’a plus rien à voir. Qui en serait l’auteur? Y aurait-il plagiat ? Probablement, j’imagine.

Naaan, je vous dirais pas quel auteur m’a ainsi glissé des mains: il lui reste les 3/4 du recueil pour me séduire 😉

Comments are closed.