La LEN votée

Elle initie une véritable privatisation de la justice, ou plutôt il faudrait trouver un autre mot pour qualifier cette nouvelle pratique.

Entre justice et troc. Car la justice n’a plus sa place dans un système où (pour résumer) un simple courrier de dénonciation suffirait à faire tomber une sanction, sans jugement, sans passer par un tribunal.

Si vous lisez les articles 2 et 3, contrairement à ce qu’on avait pu espérer ces dernières semaines, il semblerait que les prestataires soient toujours obligés de fermer le site litigieux (ou de supprimer le contenu compromettant) sur simple dénonciation (motivée, mais à peine):

(c’est moi qui met en gras)

2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la

demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

et

Les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée (…) si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.

Cette loi dépouille les tribunaux de leurs prérogatives et les mettent entre les mains des hébergeurs, qui n’en demandaient vraiment pas tant !

Qui s’en étonnera? Que je sache, le gouvernement actuel, pas plus sa majorité, n’a pas fait preuve d’un respect exceptionnel envers le pouvoir législatif ni envers ses décisions. Mais c’est une autre histoire.

Voilà nos hébergeurs chargés de punir leurs clients ! Rien de tel pour susciter un climat de confiance.

* * *

A qui profite cette loi ? Je ne sais pas, je pose juste la question. Malgré les “nuances” de cette loi, peut-être aux majors du disque et du cinéma ? Car j’ai l’impression que ça faciliterait grandement leur chasse aux pirates : plus besoin de passer (et de traîner) par un tribunal pour obtenir la fermeture du moindre site proposant des MP3 ou des DiVX.

Lutter contre les contenus illicites ? Ok bien entendu. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas demander aux libraires de contrôler le contenu de chaque livre qu’ils vendent ? Vérifier qu’un auteur n’a pas honteusement recopié les phrases d’un autre ?

Caricatural ? Oui mais, au moins, ma caricature n’est pas devenue une loi, elle…

Présomption de culpabilité, n’est-ce pas contraire aux textes de la Constitution et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme?

* * *

Devrons-nous décider d’héberger nos sites sous des latitudes moins liberticides ? Au final, les premières victimes réelles de l’application de cette loi sur la confiance dans l’économie numérique, ce devraient être les hébergeurs eux-mêmes qui verront s’éloigner une partie de leurs clients, pas désireux de voir leur site fermer pour un oui ou pour un non.

Une amende est prévue en cas d’abus :

4. Le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

Mais vu qu’on en parvient pas à se mettre d’accord sur la nature réelle des délits, on risque d’avoir souvent du mal à prouver une dénonciation abusive : j’ai dénoncé un innocent à l’insu de mon plein gré, vous savez bien…

La LEN est une loi pour l’économie (de qui ?), pas pour la confiance.

“…Dansons, maintenant.” Aurait pu écrire l’autre, s’il avait raconté la fable de deux cigales.

Il y a bien d’autres aspects critiquables dans cette LEN. Sur les délais de prescription dans la presse électronique, par exemple. Mais mon patron ne me paye pas pour écrire dans ce weblog. Je vais bosser !

Pour mémoire :

Le PS et les communistes parlent de saisir le conseil constitutionnel… Ils parlent…

Via Libération.

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